mercredi 29 avril 2015

PSYCHOLOGIE FAMILIALE, LE RÔLE DE L'ENFANT SACRIFIÉ

PSYCHOLOGIE FAMILIALE, LE RÔLE DE L'ENFANT SACRIFIÉ




Ce texte est composé en partie comme une lettre adressée à un membre jeune adulte d'une famille comme il en existe beaucoup, et en partie comme un essai pour mettre en évidence une problématique psychologique individuelle et familiale.

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Une vie ordinaire

Tu te rends compte, si je prends l'exemple de ce jeudi, tu es une jeune femme adulte (22 ans) et pourtant la famille t'utilise comme elle veut, comme une petite bonne âgée de 14 ans au maximum. Soit tu dois t'occuper de ta grand mère, la masser, dormir avec elle, bien que ça te fasse horreur, soit tu dois tenir compagnie à ton père, soit à ta mère, soit... Mais si tu regardes bien, il n'y aucune de place pour toi. Toi, tu es la bonne, la bonne à tenir compagnie, à faire des gâteaux, la cuisine ou la vaisselle, ou la bonne à...
accompagner quelqu'un qui doit faire des courses, un déplacement, ou simplement un somme. Tu ne peux t'échapper qu'en trichant, en leur mentant, car en vérité minute après minute, ils contrôlent ton emploi du temps et chacun de tes déplacements.

Faire du bien à la famille

"En fait, tu ne le sais pas, mais la famille t'a assigné, depuis que tu es toute petite, un double rôle, dont l'un qui consiste à "faire du bien" aux différents chefs selon l'ordre établi par la hiérarchie familiale, un rôle de bonne, dans les actions permanentes, et l'autre caché, le rôle de ciment familial."

Psychologie d'une famille avec angoisse de séparation

Dans la psychologie de la famille fragilisée par la menace inconsciente mais effrayante d'éclatement au travers de la dépression grave d'un de ses membres parentaux. Il s'ensuit que la famille pathologique, sur la base de l'angoisse de morcellement ou d'éclatement, génère des liens inter membres rigides, où l'angoisse de séparation y est à la fois forte et à la fois refoulée. Cela est consécutif au refoulement des besoins naturels de découverte et d'autonomie.

"D'une manière générale on te barrera la route, on te conseillera dans tous les sens et tu ne sauras plus où tu devrais aller. Pour te vêtir, tu devras encore suivre la mode de la grand mère ou de la mère, la tienne se verra disqualifiée. On te surveillera, il n'y aura jamais de place pour toi. On te fera croire le contraire, tu serais très importante même. Toi, tu pourrais même mourir à la tâche, seul ton rôle est important, pas ta personnalité, pas ta vie, pas ton bonheur. La violence psychologique est  soigneusement dissimulée sous le manteau de l'amour familial et de la fausse réciprocité : ils m'ont donné et me donnent, c'est normal que je leur sois dévouée."

Le sentier muletier de la famille

"Au lieu de ta vraie décision, sans le savoir, dans l'ombre de ta propre ombre, tu suis le sentier muletier de la famille, sentier qui ne conduit nulle part - sauf à faire des prières pour rendre acceptable une vie qui ne l'est pas - et tu as peur inconsciemment, d'être abandonnée par la famille si tu ne marches pas dans ce sentier. Sur ce véritable sentier de mules, saches qu'il n'y aura pas d'avenir, et dans ta vie personnelle pas d'amour durable ni de carrière que tu pourrais construire pour toi, car le conformisme familial inconscient guidera tes pas et ta destinée. Tu croiras être sur le chemin de ta propre vie, mais non, tu marcheras sur le sentier muletier de la famille, ce sentier qui ne conduit nulle part : sa route va de la famille à la famille, il tourne en rond indéfiniment.
Regardes attentivement, personne ne se donne du mal pour toi, rien que pour toi mais par contre, chacun se nourrit de toi."

Un Mal Bien Ordinaire

Au moins 20% de la clientèle du cabinet du psychologue est composée de gens qui, comme cette personne, se sont donnés à leur famille (c'est leur sentiment, mais en réalité on leur a tout pris) et qui se retrouvent vers 30-35 ans avec une dépression générale car leur vie est ratée, leurs ambitions ont disparues, et ils se retrouvent avec ce sentiment de ne pas être soi qui va jusqu'à la dépersonnalisation : impression d'être vide, d'être quelqu'un d'autre que soi, impossibilité de s'affirmer en société, incapacité à se défendre. C'est le prix à payer pour l'attachement familial pathologique.

Les enfants sacrifiés sont les meilleurs

Les enfants sacrifiés sont les meilleurs, ils semblent bizarrement les plus doués car ils sont dotés d'une forte capacité d'apprentissage. Leurs neurones miroirs fonctionnent très bien mais hélas, a cause même de cette capacité, on peut les influencer, les manipuler. Ils sont en principe loyaux, dévoués et fidèles et donc souvent empreints d'un esprit religieux. Doués, ces enfants sacrifiés ne savent pourtant pas qu'ils sont des sacrifiés. Ils croient en leur autonomie, notamment vers leur adolescence et leur vie d'adulte commençante. Bien vite, pourtant, le beau temps va se gâter. En effet, en amour les liaisons, souvent riches, vont être compromises par un sabotage inconscient et pour finir, abandonnées. Plus tard, l'amour n'est pas revenu, tandis que la profession s'effectue finalement sans goût de la faire, plus rien ne semble intéressant après que les motivations principales ont été barrées par les exigences familiales dissimulées sous le chantage affectif.

L'enfant sacrifié est un déboussolé

Ces "meilleurs enfants", depuis qu'ils tout petits, comprennent bien ce qui se passe chez les grands, en particulier s'il existe un conflit et si un membre risque un éclatement psychologique comme la dépression grave ou la maladie mentale. Malheureusement pour eux, ils veulent soutenir leurs parents par leur amour, leurs prières - ils croient en dieu car ils ont besoin d'un allié puissant à la taille de leur mission - et font en sorte de les faire "les faire tenir ensemble". Ces meilleurs enfants seront définitivement sacrifiés car la famille assigne un rôle à chaque enfant et les degrés de liberté y sont consignés. Dans le cas de l'enfant sacrifié, le degré de liberté est zéro !

Seule une personne compétente et extérieure à famille peut percevoir le manège derrière les grands sentiments et les bonnes intentions. Impossible pour l'enfant sacrifié de trouver sa boussole personnelle c'est un désorienté à la base. Il n'a le droit de se sentir bien que lorsqu'il rend service a sa famille. Si l'enfant sacrifié n'accomplit pas sa mission, il est pétri de culpabilité, de sentiment de mal faire et de malheur imminent. Il est désorienté car ses désirs,  sa volonté et ses décisions sont en réalité bien ceux des poids lourds de sa famille (ce qu'il ignore, d'autant plus fortement que son déni de réalité est fort) . L'enfant sacrifié se sacrifie donc lui-même en se mettant au service d'attentes qui n'ont même pas besoin d'être formulées. Il croit réellement qu'il est comme ça, qu'il aime ce qu'on lui a donné l'habitude faire, il tire même parfois orgueil d'être le seul à savoir si bien faire ces tâches subalternes, y compris d'être assigné à résidence, ce qu'on lui présente comme indispensable et tout à son honneur. En réalité si cet enfant se retirait du manège constitué, un membre essentiel de la famille, protégé par le système familial, plongerait dans la dépression ou la folie et la famille se désintégrerait.

La mission cachée et le curriculum vitae de l'enfant sacrifié

L'enfant sacrifié, on l'a dit, a pour rôle caché d'être le ciment familial . Ce ciment familial, s'oppose à l'angoisse de morcellement du groupe famille et à la dépression ou l'éclatement psychique d'un de ses membres essentiels. La famille s'arrange pour que l'enfant sacrifié ne puisse pas partir bien loin, ou bien pour qu'il revienne bien vite. L'enfant sacrifié doit donc avoir depuis son tout jeune âge une santé fragile - c'est le minimum classique -, ou tomber malade - très souvent -, ou bien devenir fou à la place du parent - assez souvent - (schizophrénie, maniaco-dépression, ...). L'enfant sacrifié a, outre sa santé fragile, un parcours scolaire ou universitaire dévoyé, en impasse, car les parents redoutent très tôt, et sans le savoir, l'autonomie de leur cher enfant et perturbent ses choix et ses motivations d'études. L'amour ou la carrière sont les deux dimensions qui pourraient générer assez d'autonomie à l'enfant sacrifié et lui faire perdre son rôle.

Qu'importe, il est un enfant déjà sacrifié, maintenant il sera, d'une manière ou d'une autre, un handicapé multiple dépendant toujours plus de sa famille. Astucieusement on lui concède des instants d'apparente liberté, parfois deux années où trois années qui ne sont que des leurres. En réalité, il a un fil invisible mais indestructible à la patte. Lui même, comme un parfait automate, abandonnera facilement tous ses acquis, en parfaite inconscience, parfois depuis l'étranger où il a tenté de poursuivre des études,  pour rentrer et reprendre, sans qu'il s'en rende compte, sa mission auprès de sa famille. Ainsi il abandonnera sa carrière bien commencée, et rentrera au bercail, bien incapable de comprendre ce qui lui est arrivé.

La vie amoureuse de l'enfant sacrifié

Les partenaires qui vont croiser la destinée des enfants sacrifiés seront eux aussi malmenés. La famille cherchera soit à décourager le mariage, soit à imposer un conjoint pris dans la famille proche, ce qui permettra de garder l' enfant sacrifié à vie, et de continuer à le contrôler. Ses liaisons seront souvent secrètes et distantes afin d'éviter une confrontation fatidique avec les figures d'autorité de la famille, et en particulier avec la personne la plus aimée-redoutée. Mais chaque liaison qui s'intensifie en engagement créera une tension en regard du pacte familial inconscient et deviendra, en principe, conflictuelle.

Immanquablement, le partenaire sera accusé par la famille d'être une source de problèmes. Pour l'enfant sacrifié, le dernier refuge après la séparation inévitable est la dépression ou la décompensation psychique, ce qui ne nuira en rien au bien-être de sa famille qui y trouvera la certitude de disposer indéfiniment de son enfant.
"Touche pas à notre enfant, il est à nous pour l'éternité" semble clamer la belle-famille au conjoint. Craintif, l'enfant sacrifié clamera en échos "touches pas à ma famille" et continuera à se sacrifier faisant porter en toute inconscience les incidences et conséquences tristement pathologiques et déprimantes à son conjoint.

Post propos

Ce syndrome de l'enfant sacrifié est dans beaucoup de cas plus discret, moins apparent que décrit ci-dessus ce qui  fait gonfler, en vérité, le pourcentage de personnes en thérapie pour cette cause !

Bernard Corbel.
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(*) Chez les singes la place de "l'enfant sacrifié" serait d'effectuer l'épouillage des membres de la hiérarchie et de recommencer indéfiniment la tâche au début.

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